3 questions et demie à Grégoire Diehl, Architecte D.P.L.G
Catégorie : Les interviews du vendredi. Ecrit par Patricia Gallot-Lavallée, le 23 mai 2008 à 16:42
Je dis souvent que je travaille dans le web comme un architecte travaille dans le batiment. Nos métiers sont-ils si identiques ? Pouvons-nous apprendre de leurs siècles d’expérience ?
J’inaugure avec Grégoire ma section « les interviews du vendredi ». Aujourd’hui 3 questions et demie à un architecte D.P.L.G
Vous dites : "On ne fait pas l'architecture tout seul." Alors qu'apporte les autres ? Pourquoi pas seul ? Comment intégrer les autres ?
Le chef d’orchestre ne joue pas sa symphonie tout seul ; l’Architecte est le chef d’orchestre du bâtiment. Construire un bâtiment est une action politique-administrative-sociale-technique... et architecturale !
- Les politiques sont les garants du domaine publique, de ce que voient leurs électeurs.
- L’administration veille au respect des réglementations urbaine (hauteurs, accessibilité), sécuritaire (incendies), patrimoniale (protection de l’histoire), environnementale (paysage -thermique- acoustique - énergétique – sismique)
- Les utilisateurs représentent la dimension sociale : habitus-comportements sociaux-cultures
- La technique permet de faire fonctionner le bâtiment : ce sont nos ingénieurs économistes, structure et fluides-réseaux.
L’architecte se doit donc d’intégrer ces données et nous aimons, de plus, faire converger en interne différentes pensées qui étoffent nos modes de production des concepts : artistes, photographes, écrivains, publicitaires..)
Le seul vrai moyen d’intégrer tout ce petit monde, c’est le DESIR du PROJET et l’EMOTION de l’architecture.
Y'a-t-il une place à l'itératif dans le bâtiment ?
Dans le web, on créé de plus en plus de projets "agiles" sur le mode itératif. C'est à dire que l'on va faire des plus petits lots de développement, le soumettre au client, le soumettre au public, corriger ce petit lot, le mettre en ligne, puis créer un autre lot, etc. Ceci permet de mettre des choses en ligne plus rapidement. Cela permet aussi de voir si c'est bien ce que le client ou le public attendait, puis de revoir une petite partie de sa copie et de ne pas avoir à tout refaire...
Le bâtiment a des siècles d’expérience. Le mode de construction itératif existe-t-il' ?
Non, l’itératif est très peu pratiqué dans le bâtiment ; en général, l’architecte reçoit un programme très précis des usages qui se lient avec les réglementations et autres contraintes connues (coût !) et officielles. Le projet se façonne dans une arborescence décisionnelle assez classique. C’est sans compter sur la magie du projet d’architecture qui consiste à miraculeusement mettre en musique tous ces instruments. Le bon projet d’architecture est une ligne rouge puissante et fédératrice (voir feu de camp) qui permet d’intégrer les volontés de tous.
Le seul domaine dans lequel vous trouverez de l’itératif, c’est dans les projets urbains et leurs nouvelles méthodes de concertations publiques et il en résulte souvent des « non projets » puisque personne ne prend une position dominante. L’itératif est la ruine du projet d’architecture.
Vous dites : « L'origine de l'architecture n'est pas la cabane, mais le feu de camp. » Pourriez-vous me parler de cette image ?
Le feu de camp illustre notre vision de l’architecture qui est un système (inter)actif plutôt qu’un objet design fini. C’est le centre plutôt que le cercle, l’origine plutôt que le système. Ici pas de beau/laid, bien/mal, l’architecture donne une profondeur de champs humaine. Le feu évolue dans le temps et diffuse un potentiel spatial graduable qui permet la liberté d’interaction pour l’utilisateur. Le feu de camps est généreux, il donne un horizon de liberté. Il est « core » (smoothcore) autour duquel se « plug » et se fabriquent les usages. Dans un bâtiment moderne, les feux, ce sont les circulations (escaliers – ascenseurs) ou les pièces techniques (cuisine – salle de bain – rangements – réserves – archives – stockages livres – régie son lumière – locaux techniques – bornes de branchement etc.). Une fois ces feux de camp positionnés (noyaux durs), la spatialité prend une grande liberté, dans le temps, dans la forme, dans les usages, dans l’évolutivité..
Autour d’un feu, la vêture, la peau, la façade prennent alors d’autre significations que celles trivialement imposées par la cabane. Le feu de camps est une épaisseur active, un seuil épais, une profondeur de champs.
En moyenne, combien de fois par jour prononcez-vous le mot "utilisateur" ? (ou un synonyme :-)).
Nous utilisons très souvent le terme d’utilisateur puisque c’est lui qu’il faut changer. Faire évoluer l’utilisateur, c’est déjà faire de l’architecture.
Ma petite conclusion :
C’est bien philosophique, tout ça ! Je ne suis peut-être pas comme un architecte dans le bâtiment !! Ce que je retiens principalement ;
- La notion de feu de camps. Que c’est la vie et la fonction de quelque chose qui créé toute l’architecture qu’il y a autours.
- Que faire évoluer l’utilisateur, c’est déjà faire de l’architecture'.' Dingue, c'est vrai à tellement de niveaux !''
La petite bio de Grégoire :
Grégoire Diehl pratique le métier d’Architecte. Diplômé P.L.G. en 1995 à l’Ecole des Beaux Arts de Paris, il est lauréat la même année du concours d’idées pour la nouvelle école des Beaux Arts de Pékin présidé par Odile Deck. Après avoir travaillé deux ans sur un chantier à Berlin, il collabore avec les agences internationales Arquitectonica et Architecture Studio.
Grégoire Diehl fonde smoothcore architects en 2000 à Paris. Le terme smoothcore est basé sur la tournure littéraire de l’oxymoron qui provoque l’utilisation d’idées très opposées dans le projet d’Architecture pour créer l’émotion et le désir.
L’agence pratique le métier à la fois en construisant pour des promoteurs et en répondant activement aux concours d’idées internationaux. Ce double travail sur le concept/concret et le global/local crée une synergie qui garantie la qualité des projets.
Grégoire Diehl est critique invité et conférencier, notamment à l’Ecole des Beaux Arts de Paris, l’Ecole d’Architecture de Paris Malaquais, à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Paris, à l’Ecole d’Architecture de Marne la Vallée, à Tulane University à la Nouvelle Orléans et à l’University of Illinois de Chicago.
Merci Grégoire !